THE HEADLESS MAN / Thibault Balahy
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Extrait du film "Freaks" de Tod Browning, 1932.
Grâce au soutien de Café Creed j'ai pu lancer un projet de recueil collectif qui paraîtra pour le FIBD 2013.
Il s'intitulera ART-MONSTRE (initialement intitulé "Artefact").
Ce sera un collectif qui rassemblera des pages d'auteurs de bande dessinée portant un regard sur le monstrueux dans les expressions artistiques, que ce soit en peinture, sculpture, photographie, cinéma, bande dessinée, littérature, etc.
Le comité de rédaction est composé de Laurent Bourlaud, Patrice Cablat, Vallie Desnouël, Benoît Preteseille et moi-même.
Le sommaire qui s'annonce ressemblera à ça (si tout se passe bien)
1. François Matton. FRIEDRICH WILHELM MURNAU.
2. Monsieur Pimpant. HANS BELLMER.
3. Thibault Balahy. DAVID LYNCH.
4. Benoît Preteseille. PEYO et la Schtroumpfette
5. Laurent Bourlaud. FRANCISCO GOYA ou les KROSTONS ?
6. Vallie Desnouël. JOEL-PETER WITKIN.
7. Marie de Monti. BRUEGHEL.
8. Tristan Lagrange. ANDY WARHOL.
9. Sophie Darcq. JONATHAN SWIFT.
10. Anne Simon. JEROME BOSCH.
11. Matthias Lehmann. JACQUES CALLOT et les malheurs de la Guerre.
12. Aleksi Cavaillès. IMRE KERTESZ et l'holocauste.
13. Terreur Graphique. TOD BROWNING.
14. Ambre. ALFRED KUBIN.
15. Nico Gazeau. DAVID CRONENBERG.
16. Patcab. HAYAO MIYAZAKI.
17. Laureline Mattiussi. JAMES ENSOR
18. Clémence Germain. ANDERSEN
Le lancement du recueil aura lieu en janvier 2013 pendant le festival international de la bande dessinée à Angoulême. Une exposition présentera les portraits des artistes réalisés par les auteurs participants.
En espérant que vous ferez partie des notres!
Si vous avez raté l'expo pendant le fibd 2012, elle est reprogrammée, tous les détails sur le site de pierre feuille ciseaux.
"L'instant passé ne revient pas. Le temps doit être bien utilisé et il ne l'est vraiment que lorsqu'il est consacré à rechercher : Qui suis-je ?"
Ma Ananda Moyi
"Il n' y a qu'une seule expérience. Que sont donc les expériences du monde sinon celles qui reposent sur le faux "moi"?Demandez aux hommes qui ont connu les plus grandes réussites en ce bas monde, s'ils connaissent leur Soi? Ils vous diront que non. Que peut-on connaître si l'on ne connaît pas le Soi?
Ramana Maharshi
En fait, l'enfance n'est pas perdue, elle est cachée. Comme une rivière souterraine. Celui qui sait, il y puise une eau fraîche qui rend la vie meilleure. C'est pour moi le vrai sens de ce qu'on appelle l'enfance de l'art. C'est l'art d'être un enfant, quand bien même on serait un vieillard.
La matière du trait
Il est une chose subtile et en même temps très concrète qui fait la qualité d'un dessin c'est la matérialité de son trait. Que ce soit par un outil spécifique (une plume, un pinceau, un feutre rotring) et par un geste (sec, fluide, ample ou petit). La manière dont la trace est déposée sur le papier est en même temps la signature d'un auteur, d'un style, d'une façon de faire et de voir : épaisseur, finesse, fluidité ou brutalité.
L'idée d'un dessin n'est pas encore le dessin lui-même (dans son incarnation). Il y a un exemple bien précis qui peut le faire comprendre. Chez certains aspirants au dessin de bande dessinée, il y a un passage délicat et parfois ingrat à ce qu'on appelle l'encrage. Le souci pour quelques uns c'est d'avoir de beaux crayonnés (vifs, spontanés, enlevés) mais qui perdent toute leur saveur au moment d'être encré. La difficulté et de ne pas figer un dessin, son trait, l'esprit initial. Il m'arrive encore de faire des esquisses de planche avec un résultat plus réussi dans le brouillon que dans sa mise au propre. C'est pourquoi j'essaie d'être le plus direct possible, parfois même en encrant directement pour ne pas qu'il y ai de perte.
Ensuite, dans la physionomie du trait (qui est quelque part comme l'enregistrement d'un sismographe), il y a des aspérités, accidents, pleins et déliés qui donne chair au dessin. L'amateur de dessin dans son appétit de lecture se nourrit de cette matière graphique et reconnait un auteur à ses petits. Il la trouve à la longue même dans tout ce qui l'entoure : logo, mise en page, photographie, cinéma, cavités dans le sol, textures d'un mur, rythmes d'une architecture, typographies. Tout est graphique, tout est écriture. L'apprenti dessinateur doit petit à petit se forger un goût, un sens du graphique pour voir dans le l'ensemble et le détail ce qui peut créer une matière graphique intéressante. Cela se fait par le point, la ligne, la surface, l'interaction des trois. C'est une histoire de densité puis de vide, de rythme. On entre ici dans la musique du dessin et comme le musicien il faut avoir l'oreille musicale, sinon l'oeil graphique.
De là un autre défi pour le dessinateur de bande dessinée c'est d'arriver à faire coexister, à harmoniser son dessin à son écriture (oui, la bd c'est du rapport texte - image). Et il est malheureux de voir de beaux dessins gachés par un mauvais choix de typographie par exemple.
IL FAUT NOURRIR L'OEIL ET L'ESPRIT DU SPECTATEUR.
Pour finir un petit exercice d'observation. Reconnaissez vous les auteurs des extraits ci-dessus?
Berndnaut Smilde, Nimbus, nuage dans une pièce, 2010.
Extraits de "la boîte", histoire muette réalisée pour les 24h de la bd en 2009, éditée dans la collection petits carnets, Alain Beaulet, 2009.
Je ne pensais pas, alors que je réalisais ce petit récit dans la transe hypnotique et la fatigue que génère ce marathon graphique, que la réalité rejoindrai la fiction. Et bien si, comme souvent par ailleurs. Pourtant ce n'est pas faute d'avoir tenté de penser l'impensable. C'est l'oeuvre de l'artiste néerlandais Berndnaut Smilde Nimbus (association de fumée, de vapeur d'eau et d'un éclairage ponctuel) qui fait écho au nuage capricieux de" la boîte".
Ce qui ne m'étonne pas plus que ça puisque les idées, comme un nuage, ne se retiennent pas entre les parois d'une cage mais circulent librement dans l'espace, d'une tête à l'autre. De plus, tout ce qui peut être conçu, même dans l'imaginaire, finit par perler dans la réalité (il n'est qu'à observer les transferts entre la science fiction et ce qui se passe finalement dans le réel).
Les idées ne nous appartiennent pas et l'art est le lieu des impossibilités rendue possibles. Le cerveau est une piste d'atterrissage pour les idées, la créativité n'est rien d'autre que de savoir ouvrir cet espace au trafic aérien. C'est pourquoi on devrait chasser les histoires d'égo de cette zone. Même dans le champ de son propre travail, on ne devrait pas chercher à enfermer les idées dans les limitations de la propriété. Tout appartient à tout le monde, la seule chose que l'on possède c'est le point de vue à partir duquel on observe ce tout.
Sur ce, bon été à tous (sans nuages).
"C'est l'art qui, loin d'imiter la nature, ne s'en inspire que pour la faire comprendre." René Le Senne, Traité de morale.
De L'image au signe
Tête des Cyclades, vers 2700-2300 av JC.
Il y a bien des nuances dans la référence au réel, de la plus complète à la plus épurée, de la plus directe à la plus éloignée. En tant que dessinateur, il faut apprendre à distinguer dans tous ces possibles car il s'agit là d'une palette, d'un clavier sur lequel il faut savoir se repérer.
S'il y a une échelle qu'elle est-elle?
Partons du plus immédiat : le visible. La réalité dans toute sa complexité (couleurs, formes, textures, lumières, mouvements...). C'est ce que l'art Antique et Classique a essayer de capter à travers la notion de mimésis (ressemblance) par une image la plus complète et la plus fidèle possible d'une chose. On pourrait parler aussi de réalisme, même si ce terme n'est pas suffisant puisqu'il contient lui aussi toutes sortes de nuances (réalisme idéalisé de l'art grec ou réalisme plus brutal et ingrat tel que dans l'art Romain du portrait sculpté ou chez Courbet, ou bien encore l'hyperréalisme).
Pour simplifier, on pourrait dire de l'image qu'elle contient le maximum d'informations qui la relie à son référent (couleurs, formes, textures, lumières, mouvements...). Disons qu'on y trouve près de 100 % de ce qui la compose. On pourrait penser au travail graphique d'Ernest Pignon Ernest par exemple.
A l'opposé, il y a le signe qui lui, contrairement à l'image, fait l'économie des détails pour ne garder que l'essentiel. La seule limité étant la lisibilité et la possibilité d'identifier le référent. Et on s'aperçoit qu'il en faut très peu pour qu'on puisse "lire" une figure. Peut-être 10 ou 5 % des informations pourraient suffire. Les têtes des Cyclades en sont un bel exemple, tout autant que les graffitis sur les murs. On n'a gardé que quelques détails mais pas n'importe lesquels : les caractéristiques saillants, distinctifs d'une réalité (la forme ovale de la tête, la ligne du nez). Comme pour l'étonnante Tête de taureau de Picasso qui se compose juste d'une selle et d'un guidon de vélo qui font l'analogie avec les cornes et la forme globale du crâne. On est aussi dans le domaine du pictogramme et de la signalétique qui vise une lecture rapide et universelle.
Maintenant que l'on a ces deux pôles, que trouve-t-on dans la partie médiane?
Ce serait une image teintée de signe, ou pour caricaturer, une représentation qui tournerait autour de la restitution de 50% de la réalité. Avant que les cubistes ne s'en emparent et qu'ils radicalisent son travail, Cézanne a cherché à synthétiser cette fameuse complexité du réel, à la simplifier. Il prônait le recours aux formes géométriques fondamentales, sa leçon est celle-ci : "Traitez la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective." La figuration synthétique, stylisée, simplifiée peut être considérée comme un entre-deux (entre image et signe). De même que l'esquisse ou le brouillon, qui sont des images incomplètes, en devenir ou simplement des images qui se veulent rapides. La pochade étant l'équivalent peint de ceux-ci (une esquisse réalisée en couleur, avec évocation globale et succincte d'un objet, de son volume, de son éclairage). On pourrait aussi mettre dans cet entre-deux les dessins inachevés (je pense aux très beaux dessins de Schiele en prison où certaines zones plus travaillées se dégagent d'un ensemble simplement esquissé). Concilier figuration et présence des textures, gestes, matières contribue aussi à être dans cet entre-deux (hachurage de Giacometti, frottage de Max Ernst...).
Généralement dans un dessin, on part d'une mise en place presque informe, "jetée" (une carcasse, un squelette) qu'on vient progressivement habiller, corriger, compléter. La finalisation étant le dessin, l'image. Ainsi le signe, ou l'esquisse, finissent par disparaître sous l'image et sa richesse de détails.
Mais on peut aussi aborder le dessin dans l'autre sens et chercher à dépouiller, enlever, ne retenir que le signe. Je pense à Keith Haring, Basquiat, Paul Klee...
Autre possibilités, on peut jongler entre signe et image au sein d'un même travail. C'est ce que fait entres autres Edmond Baudouin de façon très élégante et habile. On sent chez lui, malgré un univers plutôt réaliste et figuratif, un élan vers l'essentiel et l'abstrait. Ces accents "signes" venant pour ponctuer, rythmer, accompagner la narration.
Page de La diagonale des jours, correspondance par Edmond Baudoin et Tanguy Daholleau (Ed. Apogée, 1995)
Voilà de multiples manière de dessiner. Dessiner ne va pas de soi, dessiner ne doit pas être automatiquement représenter, mais représenter qui, quoi, comment et pourquoi. On a trop été habitué à bien dessiner, à s'appliquer, à faire dans le ressemblant (critère du bon ou du mauvais dessin) sans se demander l'intérêt de cette action. De là un autre défaut : la tendance a toujours déployer la même quantité d'énergie dans un dessin quel que soit la demande ou le contexte. Il n'est pas toujours indispensable de rendre compte de 100% d'une réalité. Il faut aussi savoir faire une vraie esquisse (ce qui tend à disparaître chez certains, omnibulés par un rendu léché et parfait : rough de design automobile, manga, illustration, dessin animé...). Alors qu'une esquisse réussie vaut tous les dessins. Il est faux de croire que le simple est simpliste ou facile à faire. Il demande autant de travail et de réflexion que le complexe. Il faudrait savoir adapter son dessin au moment, puisque qu'à chaque seconde, (ni le monde ni soi) rien n'est identique.
Exercices de contraintes / apprendre à désapprendre
Exercices à faire pour se libérer des habitudes, tics graphiques, pour expérimenter des façons plus brutes et plus expressives de dessiner, comme un enfant, sans idée pré-établie de ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Le but n'étant pas de faire de "beaux" dessins (quoi que) mais d'expérimenter une spontanéité et une liberté de geste qui permet de renouveler son approche du dessin.
L'idéal étant, après coup, de pouvoir "reproduire"" cette liberté dans son dessin, sans avoir à reproduire pour autant les contraintes. Cette fameuse liberté qui est très dure à retrouver tant on est conditionné par tout ce qu'on apprend (qui est parfois un bien mais aussi parfois un mal, une manière de faire que nous n'arrivons plus à contourner). Ce genre d'exercice se transforme assez vite en un joyeux bazar, mais il est bon parfois de se rappeler la part de jeu propre au dessin et la présence du corps dans son entier.
Il est conseillé pour tirer pleinement profit de ces exercices de ne pas faire de dessin de mémoire ou de fantaisie (lieu même de tous les défauts et tics, recettes) mais plutôt de dessiner par l'observation d'une base réelle, face à vous (une personne, un objet, mobilier...).
Seul :
- dessiner à l'aveugle, les yeux fermés (après avoir regardé un modèle). Le trait subit des décalages, une perte des repères.
- observer attentivement un modèle, l'occulter, puis le dessiner de la façon la plus détaillée (un bon travail pour la mémoire visuelle).
- dessiner avec la main gauche pour les droitiers et avec la droite pour les gauchers (un classqiue).
- dessiner sans relever le crayon ou le feutre, le trait devenant une ligne unique, sinueuse et entremêlée (un autre classique aussi).
- dessiner avec un outil peu adapté (trop gros ou trop petit). Intégrer l'accident ou la gêne occasionnée.
- fabriquer son outil (par détournement : utiliser par exemple une éponge, une petite voiture...) ou bricoler un calam (avec du bambou, un tube de plastique creux...).
- accrocher une feuille assez en hauteur pour devoir sauter pour l'atteindre.
- dessiner au sol en suspendant un feutre ou un pinceau au bout d'un fil.
- accrocher sa feuille sous la table et dessiner à tâton sans pouvoir contrôler son trait.
A deux :
- l'un dessine les yeux fermés, l'autre décrit ce qu'il doit dessiner (mais sans nommer les parties, matières, mais en restant assez vague : qualités formelles, de texture. "C'est dur, c'est mou, c'est petit, fin...).
- l'un dessine les yeux fermés, l'autre le guide dans l'espace de la feuille (droite, gauche, haut, bas, en diagonale, stop...).
- l'un dessine les yeux fermés et l'autre le fait dessiner en guidant sa main. Le dessinateur se laisse mener et rentre dans la logique de l'autre (on peut aussi faire cet exercice en ouvrant les yeux ou bien "l'aveugle" peut résister en une sorte de bras de fer).
- l'un dessine, l'autre fait bouger son support.
- l'un dessine et l'autre le bouscule, le mettant dans un sentiment d'urgence et d'insécurité.
- dessiner simultanément les deux parties symétriques d'un objet (ou un visage par exemple), celui qui est à gauche fait la partie gauche et celui à droite, la droite. On peut accentuer les différences en utilisant chacun un outil / couleur différent.
- dessiner en occupant l'espace d'un support de façon harmonieuse, en occupant les vides laissés par l'autre.
- dessiner en se disputant le territoire de la feuille : superposition, occultation, recouvrement.
A plusieurs :
- Chacun pose sa feuille devant lui et face à un modèle. Chacun a un outil différent, une couleur différente. En tournant relativement vite, on dessine chaque fois un fragment de ce que l'on voit, continuer la "ronde" jusqu'à ce que chacun ait un dessin fini sur sa feuille.
- Constituer deux groupes qui dessinent la même chose. Chaque groupe s'échange ce qui a été produit et chacun corrige (avec une autre couleur) le dessin récupéré.
- d'autres idées que j'oublient ou que vous inventerez.
Conclusion :
Ici, pas de bons ou de mauvais dessinateurs, on reprend tout à zéro. Pour avoir expérimenté plusieurs fois ces exercices, le plus difficile est de retrouver cette fraîcheur dans les productions contrôlées qui suivent. On a tendance à retomber dans les mêmes ornières. Donc il faut s'évertuer de temps en temps à apprendre à désapprendre (comme le dit si bien la pensée Zen). Ce genre d'exercices peut décomplexer certains et désorienter d'autres. De même que les séances de nu révèlent parfois des blocages chez certains "bons" dessinateurs et des révélations chez des soi-disants "mauvais". Et oui, il est dur (mais aussi jubilatoire) de représenter ce qui est face à soi, en présence. Et de ne pas oublier de se représenter dans le même geste.