Message aux Parisiens, je serai invité au Festiblog en septembre. Je dédicacerai pour Les autres gens. Merci Wandrille (parrain cette année du festival) d'avoir pensé à moi. Un petit interview en prime ici.
THE HEADLESS MAN / Thibault Balahy
Bande dessinée / Carnets / Dessin / Projets / Livres et expos / Site /
Message aux Parisiens, je serai invité au Festiblog en septembre. Je dédicacerai pour Les autres gens. Merci Wandrille (parrain cette année du festival) d'avoir pensé à moi. Un petit interview en prime ici.
Dessiner ou illustrer
J'aimerai faire une distinction entre ce qui relève à mes yeux du dessin et ce qui relève de l'illustration. Peut-être parce qu'il me semble qu'il y a une confusion entre les deux chez certains et que ces deux activités distinctes conditionnent des approches assez différentes de l'acte de dessiner. C'est aussi quelque part une façon pour le dessinateur de se demander pourquoi il dessine, pour qui et comment. De quelle nature est l'écart entre ces deux, comment l'un se détermine par rapport à l'autre, pourquoi on dessine plutôt qu'on illustre et inversement?
Du point de vue de l'activité physique ce sont deux mêmes choses (mêmes gestes, mêmes outils, mêmes supports), par contre du point de vue de l'activité intérieure, et du sens produit ce sont deux choses assez différentes. A mes yeux le dessin est premier et l'illustration en est une excroissance, une application particulière qui peut devenir une activité à part entière, avec ses propres codes. Le dessin peut ne viser que lui-même (dessiner par pur plaisir, sans raison particulière) quand l'illustration dépend d'une demande extérieure à soi, une commande et d'un contenu pré-existant à imager (historiquement : les images créées pour illustrer, accompagner le texte d'un livre). Dans ce cas l'image n'est pas première mais plutôt l'écrit, que l'image vient appuyer, compléter pour joindre le dire et le montrer.
On pourrait dire de l'illustration qu'elle est du dessin utilitaire, un dessin appliqué, encadré par un cahier des charges. Là où le dessin seul peut se permettre d'être abstrait, muet, inutile, hermétique, laid... l'illustration a la nécessité d'être lisible, accessible, de véhiculer un sens ou un message et de plaire. C'est pour moi la frontière entre deux territoires : celui d'un terrain libre, expérimental, introspectif, subjectif, et d'un terrain occupé, préoccupé par une attente, une fonction à remplir, un service à rendre (imagerie publicitaire, distractive, décorative, narrative). L'illustration raconte une histoire, comme le cinéma grand public raconte une histoire. On est dans une forme d'entertainment et de culture mainstream (pour utiliser des termes "in"). Je distingue les deux non pas pour dévaluer l'illustration mais bien parce que, comme au cinéma, il y a une confusion où les gros arbres (films de studios) cachent la forêt (du cinéma d'auteur) et que certains aimeraient imposer l'un au détriment de l'autre. Il est juste de constater que ce ne sont pas les mêmes arbres et pas les mêmes fruits. Et que l'un ne doit pas empêcher l'autre d'exister.
Pour certains puristes, il y aurait un côté péjoratif dans l'illustré qui glisserait dans de l'anecdotique, du séduisant, jusqu'à parfois du "putassier". Avec une connotation vulgaire sans doute associée au fait qu'il y a eu une séparation élitiste dans notre culture entre l'écrit et l'image (celles-ci permettant depuis longtemps d'instruire les foules analphabètes, comme dans les versions illustrées de la Bible ou dans les représentations religieuses de l'art Roman et Gothique). L'image étant plus accessible que l'écrit, celle-ci est devenue un moyen apprécié par la publicité, la propagande, la culture populaire, pour façonner et diriger les comportements et le goût, d'où son côté "pop". Ce qui, d'ailleurs, vaut sans doute à la bande dessinée des remises en question régulières sur sa légitimité à être un art. Et ce qui explique qu'on aura plus de facilité à accepter un dessin contemporain non narratif dans la sphère de l'Art contemporain. Le dessin comme art, le dessin non "alimentaire" (ce qui dans l'Absolu est discutable étant donné le rapport au mécénat, aux subventions, aux galeries, on peut se demander si l'art dans son entier n'est pas devenu "alimentaire") et l'illustration du côté d'un savoir-faire, d'un mêtier.
Au delà de la question de l'Art, on voit tout de même une différence entre dessin autonome et dessin au service de (dans lequel on pourrait regrouper illustration, dessin technique, plan d'architecture, illustration scientifique, dessin de presse, jeu vidéo, story board...). Une des différences est très souvent le rapport au temps : pas mal d'images sont crées comme des biens de consommations immédiats avec une durée de vie assez limitée. Et le rapport à soi : on ne demande pas forcément à l'illustration d'exprimer l'être qui se cache derrière et toute sa complexité.
Ceci étant dit, l'art appliqué peut s'élever au rang d'art s'il est fait avec inspiration et profondeur. Les gravure de Gustave Doré, les estampes d'Hirohige ou Hokusai, Arthur Rackham, Aubrey Beardsley, Bruno Paul, Alfred Kubin ont marqués ce dessin de genre. Et pas mal de grands artistes se sont prêtés aussi au jeu de la commande et de l'illustration.
Et-ce qu'un dessin vaut pour lui-même ou dépend d'autre chose pour avoir un sens, un intérêt? Est-il oeuvre ou ouvrage? Comment trouver la délimitation entre les deux? On peut aussi aborder une illustration avec l'esprit du dessin dans tout ce qu'il a de prospectif, expérimental, libre. Bien souvent il faut arriver à imposer sa vision, sa différence pour casser l'image d'épinal de ce qui ferait (ou pas) une bonne illustration. Et on entend dire que certains commanditaires voire le grand public ont mauvais goût. Faut-il s'abaisser à une idée préconçue que l'on se fait d'un attendu, d'un public, lectorat potentiel ou faut-il bouger les habitudes? Le goût est une chose changeante, par définition, et on ne sait jamais parfaitement ce qui plaira ou déplaira. Donc le mieux c'est d'être soi-même. Stanley Kubrick, dans son domaine, étant l'exemple parfait d'une harmonie entre exigence, liberté, puissance et en même temps accessibilité à un grand public. Un bon projet est celui qui répond et dépasse la demande d'un client et où on a pu s'approprier ce travail comme s'il avait été motivé par soi-même. On peut donc faire une illustration avec les qualités du dessin libre mais ce n'est pas toujours le cas.
Il me semble qu'il faut éviter un stylisme trop codifié, figé, qui même s'il répond au goût d'un public et d'une époque, risque de mal vieillir. Au final, on perçoit souvent dans une production ce qui l'a motivé : goût de plaire, facilité, impersonnalité ou bien honnêteté, sincérité, profondeur. C'est pourquoi certains dessinateurs sont au-delà des genres, du dessin ou de l'illustration et d'autres se contentent d'un truc qui marche.
J'essaie de ne pas limiter un étudiant dans une façon de voir le dessin (commerciale ou expérimentale) pour lui permettre de choisir quelle sera sa voie. Et malheureusement de nos jours les jeunes gens cherchent trop souvent ce qui brille et donne l'impression de la réussite, pour imiter ce qui marche. Certains s'empressent de singer des codes extérieurs, ont des cultes exclusifs qui occultent tout le reste. Je pense surtout au Manga comme agent polluant (surtout parce qu'imité à travers des clichés ou des productions bas de gammes) mais ça peut être aussi l'heroic fantasy ou les super héros. Alors qu'au moment de l'apprentissage il faudrait ouvrir toutes les portes et les fenêtres et être curieux de tout (de l'underground à l'art bourgeois). C'est pourquoi, plus qu'un savoir-faire, il faut mettre en place un questionnement en action. Une approche la plus libre possible du dessin. La dépendance du dessin à la nécessité de manger viendra bien assez tôt. Je sais qu'après il est plus difficile de s'accorder ce temps de recherche et d'expérimentation quand on travaille. Et il y a assez de publicitaires aigries et frustrés dans les agences qui après avoir usé leur jeunesse sur des projets parfois aussi stériles que lucratifs, rêvent d'une pratique d'artiste, une vraie.
Même si l'époque manque parfois de profondeur nous ne sommes pas obligé de lui ressembler. Ce qui nous plaît, on l'oublie. Ce qui nous marque nous accompagne.
Dessiner c'est lutter
« Qu’est-ce que dessiner ? C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible qui se trouve entre ce qu’on sent et ce que l’on peut » Van Gogh
J'ai présenté quelques extraits de mes réflexions sur le dessin à Frédéric Pajak, de façon assez fortuite ce qui a donné lieu à un échange intéressant sur ce que signifie dessiner. Je sentais qu'on partageait certains points de vue mais qu'en même temps on ne les formulait pas de la même façon ce qui créait des sortes de malentendus. Dans mon effort de clarification et de communication de ce que je perçois moi-même du dessin (et dans ma propre pratique et dans celle de mes étudiants), j'ai perçu une méfiance de sa part sur un langage vaguement universitaire et l'usage de telles ou telles références. C'est bien probable que je n'ai pas une rigueur suffisante pour m'exprimer sur ce sujet mais j'essaie quand même. Après tout, tout individu (même le plus érudit ou rigoureux) n'est pas à une contradiction prêt. L'addition des pensées finissant quand même par créer une sorte de tout intelligible. Et qu'il ne faut pas chercher à avoir raison et devoir faire face à des points de vues antagonistes.
On parlait à la fois du plaisir de l'acte mais aussi de la souffrance qui l'entraînait, voire qui le précédait (voire son origine même). Il insistait plusieurs fois sur une forme d'intranquilité liée au dessin, une dimension presque tragique (si j'ai bien compris ce qu'il essayait à ce moment de me dire), de l'ordre de la blessure.
Et c'est vrai, puisque dessiner est une quête dont le véritable but ne sera jamais vraiment atteint (dans la mesure où on cherche vraiment quelque chose qui se refuse à nous). Dessiner c'est se condamner à être plus ou moins déçu par le fruit de nos recherches. Sinon pourquoi continuer ainsi une vie durant? Comme le dirait Beckett : "mal-vu, mal-dit. L'art est un jeu de dupe où on tente de nommer l'innommable, cerner le sans-forme. Et faire de cette impossibilité son art touche à l'absurde et au tragique de notre condition. C'est une quête sans fin comme l'a bien exprimé aussi Giacometti dans ses réflexions.
Et dans la même temps, trouver (un style, une manière, une forme) n'est-ce pas aussi une punition? Dessiner est très lié au désir. Mais en même temps également à ce qui renvoie au noyau dur de l'être. A la solitude essentielle de toute individu et son besoin d'expression, voire parfois même de cri : Je suis. Je suis là. Je perçois (et la perception elle-même devient parfois une souffrance : voir et être vu). Il n'y a pas de dessin sans regardeur, même si cela se limite à ce premier témoin : soi-même. Et je sais par expérience que le dessin non éclairé par le regard d'autrui crée pas mal de souffrance chez son auteur (ntamment de la frustration). Une oeuvre graphique a besoin d'être vue pour exister.
Et la médiatisation de sa production ne règle pas forcément le problème, y compris les compliments. Il faut toujours continuer à chercher sans quoi on meurt de son immobilité. Donc on pourrait parler du dessinateur comme d'un voyageur intranquille ou sans repos.
Cette passion, comme une croix portée s'accompagne heureusement d'une jubilation. Sinon je pense que personne ne supporterait cette tension. Et même chez les esprits les plus pessimistes on voit clairement ce plaisir. C'est ce que je remarque chez Bacon par exemple, malgré la crudité et la noirceur de son propos, je vois la joie de peindre, manifeste, rendue visible. Même dans un monde sans Dieu et dans "l'être-viande" il n'y a pas rien : il y a au moins cette joie qui mène sur une forme de beauté.
On se prend à s'inquiéter de voir les choses s'effriter, les valeurs (autant économiques que morales) mises à terre et on se prend aussi parfois à vouloir lutter contre ce mouvement, à s'alarmer contre cette dictature financière, guerrière, mentale. Si on s'observe, on remarque la quantité d'énergie perdue vainement dans ce simili combat.
Mais de quoi s'agit-il en réalité? De quelle crise nous parle-t-on? De quel pouvoir avons-nous peur en définitive?
Après quoi courent-ils tous ces banquiers, ces traders, ces multinationales? Entraînant avec eux une partie de la classe politique. Posséder tant et plus qu'à la fin ils ne possèdent rien, un néant, la négation de leur humanité et une planète exsangue. Ils exposent au monde entier leur pauvreté et leur misère affective, leur pathologie. Depuis quand devrions-nous croire un seul mot ou apporter du crédit à des malades mentaux? Si nous croyons à leur crise, quelque part nous rendons légitime ces valeurs qu'ils érigent en dogmes (où il faut posséder pour être heureux, où il faut consommer pour être, où le pouvoir vient par le mépris et la négation de son prochain).
Avec un malade mental on ne discute pas et on ne négocie pas, sans quoi nous serons forcément déçu ou finirons par croire qu'il est normal, devenant nous-mêmes malade. Quelle est la preuve de leur absolue démence? Comment peut-on dire tranquillement que nous n'avons pas à faire à des esprits sains? Quand on distord la réalité pour imposer sa propre logique déréglée, quand on masque ses forfaits avec des leurres pour pouvoir continuer à céder à son addiction. Qu'on veut percevoir dans une chose son contraire et on veut que tout le monde accepte sa mythomanie. On observe là une psychologie de toxicomane, d'addictif en dernier stade, c'est la seule explication pour comprendre ce qui se passe. Dans cette drôle de logique, même un Fukushima ne suffit pas pour se rendre à l'évidence, on préfère garder intacte son idolatrie, sa maladie que de se guérir. Au contraire, on continuer à nous faire la promotion de la cause même de nos problèmes (le capitalisme, le mondialisme étant lui aussi radioactif et créant des déchets lourds non traitables). C'est devenu évident comme le nez au milieu du visage. Ce genre de malade crèvera plutôt que de traiter son mal. Voulons-nous les accompagner dans leur chute? Attendons-nous l'overdose?
Et nous perdons beaucoup de temps à critiquer et à détester ces puissants qui dictent notre quotidien. Mais faut-il même les considérer comme nos semblables? Est-ce que l'on critique un alcoolique, un malade en dernier stade? Non, on met tous ces agissements et réactions sur le compte de la maladie et on le renvoie à une thérapie. Par définition, il ne peut pas faire autrement et n'a pas le choix. On ne peut rien attendre de particulier d'une telle personne. On ne met pas dans ses mains des responsabilités ou sa confiance. On garde ses distances. On n'accorde pas sa confiance.
Le meilleur moyen de guérir quelqu'un est de ne pas l'entretenir et l'encourager dans son illusion. La meilleure chose à faire face à un malade qui veut ignorer son état est de le mettre face à la vérité de son mal.
Soyons témoins de ce qui se passe et non pas acteurs. Exigeons non plus des paroles mais des actes et jugeons en fonction de cela seulement. Dans cette folie grandissante des hommes, l'époque nous permet peut être de mieux discerner entre ceux qui sont pour la vie et ceux qui sont pour la mort. De quel côté va l'avoir et de quel autre, l'être? Ne cherchons pas à arrêter l'incendie, contentons-nous simplement de ne pas l'alimenter.
Regardons les tomber et ne tombons pas avec eux.