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19 juin 2018 2 19 /06 /juin /2018 22:45

(Notes réflexives après avoir fini une grosse partie du livre, soit 7 chapitres sur 10).

Falaises abordait la question du manque, la question du suicide, comment tenir debout après le pire et comment se reconstruire. Il y avait aussi en creux l'éclatement de la famille, le rapport au père et à la mère, fantôme obsédant. Enfin il y avait l'Art, l'écriture, comme un frêle esquif pour traverser la tempête. Et aussi l'amour, l'amour d'une femme et d'une enfant. Pour réapprendre à vivre. J'avais fait des choix, avec Loic Dauvillier, pour retranscrire cette âpreté, en miroir aussi de l'écriture aiguisée d'Olivier Adam. Un graphisme jeté sans fioritures pour dire la crise, une forme d'urgence.

Ici le projet est de nature très différente. Soit l'histoire vraie d'un groupe de rock composé d'Amérindiens natives, qui ont côtoyé la gloire dans les années 70 puis sont retombés dans l'oubli dans une Amérique peu encline à entendre son message identitaire et contestataire. J'avais déjà travaillé sur la base de personnes réelles mais sur un ton fictif (Dawson, le nord c'est pas fait pour les chiens, l'histoire rêvée d'un voyage qui rapproche père et fils par Wilfried Hildebrandt - qui a d'ailleurs par la suite accompli son rêve du Grand nord avec son père. La réalité rejoignant la fiction! ). La différence avec redbone c'est au delà de la musique (encore elle, souvent présente d'une manière ou d'une autre) la retranscription de l'histoire Indienne avec sa tragédie. Il me fallait trouver de la noblesse et de la dignité pour respecter ce peuple et sa souffrance (toujours actuelle). J'ai donc poussé le réalisme plus loin que dans Falaises et (c'est mon impression) travaillé un dessin plus dense, moins convulsif et spontané. J'ai beaucoup appris et me suis surpris à approcher d'une forme de classicisme, parfois.

L'autre aspect c'est le va et vient passé présent qui structure tout le récit. J'avais abordé cela dans falaises avec un code chromatique différencié. Ici, j'ai opté pour un vieux papier jauni pour connoter le passé et une bichromie noir/jaune sur fond blanc pour le présent. M'est venue l'idée de faire des fausses couvertures de comics américains pour retracer les différentes époques du groupe. Une manière subliminale aussi de faire de ces indiens des héros modernes populaires (car ils ont servis de repère et de modèle à toute une génération de jeune natives). Ce jeu de détournement qui ne m'était pas familier m'a amusé et m'a permis d'aborder mon propre dessin différemment.

J'ai été amené à faire des cases (ce que je ne fais plus vraiment), dessiner de la typo à la main... Jouer avec des codes connus par un large public, sortir d'une écriture peut être austère pour certains. Et sans trop m'en rendre compte, les outils ont changés au fil du récit : de la plume, au lavis, de la trame puis un frottage d'encre sèche (et je ne sais pas ce que la suite me réservera). J'ai cherché les façons qui me semblaient les plus appropriées pour créer un climat particulier. Comme le découpage et l'écriture de mes acolytes (Christian Staebler au scénario, Sonia Paoloni aux dialogues) sont clairs, classiques, lisibles, j'ai ajouté un degré d'abstraction par le dessin pour "animer" cette histoire, lui prêter vie. Car si la difficulté première de Falaises tenait dans l'adaptation d'une oeuvre existante, le respect de son climat, pour Redbone le défi est plutôt de rendre cette histoire vraie crédible, touchante et communicante. Christian m'a facilité le travail de documentation (historique et photos de "familles" des membres du groupe). J'étais déjà sensible, bien sûr, à cette culture (marqué profondément par une lecture adolescente : "Pieds nus sur la terre sacrée" éditions Plon). Et petit à petit, je me suis attaché à ces visages, ces histoires. Et j'ai été peiné d'apprendre la mort de Dennis Banks (cofondateur de l'AIM, mouvement pour les droits Indiens) alors même que je le dessinais. Certains membres du groupes sont déjà mort, d'autres plus ou moins en bonne forme. Et je sens une responsabilité de mémoire pour raconter dignement le récit de vie de personnes dignes, belles, hautes en couleur.

L'histoire de ce peuple nous concerne tous, de même que ce qui s'est passé en Grèce, ou que ce qui se passe en méditerrannée. Nous sommes tous frères. Et ceux qui pensent le contraire ou qui ironisent se préparent un monde bien sordide. La résistance de ces indiens, qui perdure aujourd'hui (pour garder le lien à la terre, à leur culture, à une existence digne comme l'accès à l'eau courante) est une leçon de courage. Aimons-les, respectons-les. C'est peut-être eux qui avaient raison et toute la culture occidentale qui a tort.

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